Texte n° 128 (2020-2021) de M. Jean-Pierre DECOOL, Sénateur, et plusieurs de ses collègues, déposé au Sénat le 16 novembre 2020
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs, Sénatrices et sénateurs,
Un couple de chats peut donner, en 4 ans, plus de 20 000 descendants.
Il est convenu d'admettre que la France abrite entre 12 à 13 millions de chats domestiques sur son territoire. Le nombre de chats aurait doublé entre 1990 et 2015 passant de 6 millions à 13 millions ! Il ne s'agit pas de condamner notre animal de compagnie si populaire mais il s'agit de s'interroger sur les nuisances posées par le chat domestique ou ses voisins pudiquement appelés « chats errants ».
La nature des problèmes posés par cette population féline en matière sanitaire et de biodiversité est grave même si elle n'est pas nouvelle.
Elle est dénoncée par les maires, les associations de défense d'animaux, les chasseurs, les agriculteurs, les autorités sanitaires ou de police.
Hélas, l'abandon des animaux est un phénomène de plus en plus répandu selon les témoignages recueillis auprès des responsables associatifs.
C'est l'ère de « l'animal jetable » !
Les nuisances entrainées par les chats errants ne sont pas contestées tant sur le plan sanitaire que sur le plan de la biodiversité.
Sont recensés parmi les nuisances sanitaires, les bagarres à sang lors des chaleurs, les miaulements, la destruction de poubelles, la délimitation des territoires par des jets d'urine,.... Ces situations sont susceptibles d'entrainer des risques sanitaires pour les autres animaux sachant que les animaux errants sont victimes de malnutrition et de maladies contagieuses. À l'exception de certaines d'entre elles, telles la toxoplasmose, celles-ci ne sont pas transmissibles à l'homme : maladies type sida, coryza, chlamydia, leucémie virale, rhinotrachéite, calicivirose, l'échinococcose, etc.
Mais les nuisances ne se limitent pas au domaine sanitaire, elles entraînent des conséquences, cette fois sur la biodiversité.
La réalité repose sur des chiffres partiels et il est à regretter que la France ne dispose pas d'études complètes.
La ligue protectrice des animaux, (LPO) se fonde sur une étude participative du Museum national d'histoire naturelle lancée en 2015. Pour analyser l'étendue des dégâts provoqués par les chats notamment en matière de prédation ; celle-ci est désormais « un fait avéré ». À titre d'exemple, en 2017, plus de 11 % des animaux accueillis en centres de sauvegarde LPO sont des animaux blessés par des chats et 84 % des victimes sont des oiseaux, 16 % des mammifères ou des reptiles. Ce qui signifierait, selon ces mêmes études, que 75 millions d'oiseaux seraient tués par les chats chaque année sur notre territoire ! Le félin s'est ainsi imposé comme « le carnivore le mieux représenté dans notre environnement, qu'il s'agisse des milieux urbains ou des paysages ruraux » ajoute le Museum national d'histoire naturelle. Il est derrière le rat mais devant le renard et le chien dans la prédation.
Différentes études mettent en évidence la menace sur les écosystèmes car le chat s'attaquerait à plus de cinquante espèces en Europe occidentale. Parallèlement, selon le Museum national observe que la population des oiseaux nicheurs diminue : 92 espèces seraient menacées dans l'hexagone.
Déjà, en 2013, les chercheurs américains d'une étude publiée dans Nature Communications estiment que les chats en liberté tuent entre 1,4 et 3,7 milliards d'oiseaux et entre 6,9 et 20,7 milliards de petits mammifères par an, aux États-Unis. Ces mêmes chercheurs démontrent que l'introduction de chats dans des espaces où ils n'existaient pas permettrait de les classer dans les pires espèces invasives. « Sur les îles, les chats laissés en liberté ont provoqué ou contribué à la disparition d'oiseaux, de reptiles et de mammifères. Trente-trois au total, dont plusieurs espèces d'oiseaux », précise l'union internationale pour la conservation de la nature (UICN), organisation non gouvernementale mondiale relative à la conservation de la nature.
L'Australie mais aussi la Belgique semblent être les pays qui ont travaillé le plus sur ces problématiques.
L'expérience belge, plus proche de nous, a mis en place, depuis 2016, un système de stérilisation obligatoire de tous les chats, errants ou pas avant l'âge de 5 ou de 6 mois.
État fédéral, la Belgique peut adapter ces réglementations régionales récentes 1 ( * ) qui instaurent une obligation de stérilisation, en Wallonie depuis 2017, à Bruxelles à partir depuis 2018 et enfin de la Flandre à partir de 2018. Obligation de stérilisation sauf si ces chats sont destinés à l'élevage et que leur propriétaire est un éleveur agréé. Seule la Flandre a prévu une sanction en l'absence de stérilisation (une amende allant jusqu'à 416 euros).
Il s'agit bien d'une obligation et non d'une possibilité, même si des campagnes d'aide aux communes pour la stérilisation des chats errants peuvent parallèlement être financées par la région 2 ( * ) . En décembre 2018, la Wallonie a ainsi complété à hauteur de 50 % les subsides octroyés par 77 communes aux associations afin qu'elles procèdent à la stérilisation des chats errants.
La législation, en France est différente. Les maires sont responsables à deux titres :
Au titre de la police municipale définie à l'article L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales selon lequel
- « La police municipale a pour objet d'assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques. Elle comprend notamment : « [...] 5 ° Le soin de prévenir, par des précautions convenables, et de faire cesser, [...] les maladies épidémiques ou contagieuses, les épizooties [...] ;
- « 7° Le soin d'obvier ou de remédier aux évènements fâcheux qui pourraient être occasionnés par la divagation des animaux malfaisants ou féroces. »
La jurisprudence sur la divagation d'animaux errants ne s'applique pas aux chats qui ne provoquent que des dommages légers mais plutôt aux meutes de chiens errants ou aux taureaux. La responsabilité du maire a donc peu de risques d'être engagée sur ce terrain.
Au titre du code rural et de la pêche maritime
Ce dernier consacre une partie aux animaux dangereux et errants concernant plus spécifiquement, les chiens et les chats.
- L'article L. 211-22 précise que : « Les maires prennent toutes dispositions propres à empêcher la divagation des chiens et des chats. Ils peuvent ordonner que ces animaux soient tenus en laisse et que les chiens soient muselés. Ils prescrivent que les chiens et les chats errants et tous ceux qui seraient saisis sur le territoire de la commune sont conduits à la fourrière (...) ».
Mais c'est surtout, l'article L. 211-27 du code rural et de la pêche maritime issu de la loi n° 99-5 du 6 janvier 1999 relative aux animaux dangereux et errants et à la protection des animaux) qui intéresse les maires. Le texte prévoit que : « Le maire peut, par arrêté, à son initiative ou à la demande d'une association de protection des animaux, faire procéder à la capture de chats non identifiés, sans propriétaire ou sans gardien, vivant en groupe dans des lieux publics de la commune, afin de faire procéder à leur stérilisation et à leur identification conformément à l'article L. 212-10, préalablement à leur relâcher dans ces mêmes lieux. Cette identification doit être réalisée au nom de la commune ou de ladite association ».
Actuellement, la stérilisation est donc une possibilité pour le maire. Il s'agit d'une faculté et non d'une obligation.
Cette faculté est exercée par les maires en association avec des associations locales ou nationales (type Fondation Brigitte Bardot). Grâce à une mobilisation et des partenariats de personnes bénévoles (personnel municipal, police municipale, vétérinaires, menuisiers, associations, maisons de retraite), des campagnes de stérilisation sont organisées afin non pas d'éradiquer le phénomène mais d'en limiter la portée.
Certaines associations françaises s'inspirent de la réglementation belge et souhaitent obliger les propriétaires, éleveurs comme particuliers, à faire stériliser leurs chats avant l'âge de six mois, sauf exception. Il est suggéré de plafonner le coût de la stérilisation par les vétérinaires, d'aider financièrement les foyers modestes ou à assimiler l'absence de stérilisation à la maltraitance en vertu de la loi du 16 février 2015 reconnaissant la qualité « d'être vivant doué de sensibilité » aux animaux. Ces propositions nous semblent difficiles à adapter au cadre juridique français.
En effet, ce schéma risquerait d'augmenter les abandons ou les éliminations des portées éventuelles de chats si les propriétaires refusaient la stérilisation. Ce qui est réprimé par le code rural et de la pêche maritime (a R. 655-1).
Il serait excessif d'exiger de chaque citoyen de prendre une sorte d'assurance maladie minimale et de faire supporter le coût de la stérilisation de tous les chats, y compris domestiques, par la collectivité territoriale. Le coût de l'opération est de 100 euros environ et les vétérinaires disposent d'honoraires libres. Réglementer ces honoraires ouvrirait une brèche dans le système et bouleverserait une profession qui n'est pas alignée sur une grille tarifaire.
Notre proposition de loi consisterait donc à transformer la faculté de stérilisation de l'article L. 211-22 du code rural et de la pêche maritime par une obligation de stérilisation.
Certes cette obligation entraînera un coût pour les communes et pour les associations.
La Fondation Bardot a dépensé un million d'euros pour l'année 2019.
Le I de l'article unique dispose de cette obligation.
Le II de l'article unique prévoit une compensation pour la charge imposée aux collectivités territoriales.
* 1 Arrêté du Gouvernement wallon du 15 décembre 2016 relatif à la stérilisation des chats domestiques. Arrêté du Gouvernement de la région Capitale de Bruxelles du 13 juillet 2017.
* 2 Par ailleurs, l'article D. 19 du code wallon du bien-être animal (décret du 3 octobre 2018) prévoit que « Afin d'assurer leur bien-être, le Gouvernement peut prendre des mesures pour limiter la reproduction de certains animaux. [...] Le Gouvernement peut soutenir financièrement toute initiative à cet égard selon les modalités qu'il détermine. »
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